Sur cette terre de grands chambardements, les hommes des provinces septentrionales ont toujours su relever les défis que les guerres et les révolutions leur ont infligés. L’épuisement d’une ressource, le charbon, désorganise, tant au plan économique et social que paysager, une partie du Nord-Pas-de-Calais depuis près de trente ans.
Le bassin minier, qui n’occupe qu’un dixième de la superficie régionale et accueille plus d’un tiers de la population, porte aujourd’hui l’image d’une terre en déshérence aux cicatrices béantes laissées par la fermeture des exploitations minières. En 1983, le cabinet Innotech B4, à la demande des Houillères, mesurait l’impact de la fermeture des mines sur l’économie régionale ; il démontra la nécessité, tout en diversifiant les secteurs d’activité, d’assurer la relève des nombreuses générations post-mines par une révolution des comportements. Aujourd’hui, ce territoire au paysage hétérogène demeure peu attractif.
Comment impulser un nouveau dynamisme au territoire
Au début du XVIII e siècle, lors de la découverte de charbon à Fresnes-sur-Escaut, on s’aperçoit que la veine charbonnière issue des Ardennes se prolonge de la frontière belge aux portes du pays d’Aire. Le bassin minier se situe à l’interface entre le haut et le bas pays. Le paysage de ce vaste territoire de transition, autrefois ponctué de quelques villages et villes fortifiées, en est complètement bouleversé. L’épopée minière qui dura un peu plus de deux siècles va façonner un tout nouveau territoire : les paisibles terres agricoles se transforment en sites industriels densément peuplés. Les compagnies défrichent les forêts, érigent des chevalements et des terrils, maillent l’ensemble du bassin par le tracé de voies ferrées (cavaliers) et de canaux, bâtissent des cités autour des carrés de fosse, où les ingénieurs optent pour la maison individuelle, marquant le territoire de cet urbanisme si particulier. L’explosion démographique est telle que les anciennes bourgades deviennent de véritables métropoles de renommée nationale. À Lens, l’ancien cinéma Apollo est ainsi décrit dans le livre de Ginette Haÿ : « véritable temple du cinéma, la plus grande salle de province, seuls les Champs-Élysées affichaient mieux… »
Les années 1960 connaissent le déclin de l’extraction du charbon et, en 1967, la décision de l’arrêt programmé de l’extraction tombe. Le 21 décembre 1990, c’est la fermeture de la dernière fosse d’extraction à Oignies. Dès l’automne 1990, la Direction régionale des Affaires culturelles du Nord-Pas-de-Calais commence, dans l’urgence, le recensement des sites miniers, devant l’imminence de la fermeture du dernier puits en activité qui devait être aussitôt démantelé, pour des questions de sécurité et de manque d’entretien. Pendant plusieurs années, il faut masquer la “honte de la mine”. On s’attache alors à démolir pour pouvoir oublier.
La réponse à cette honte versus identité réside peut-être dans la démarche actuelle qui propose la candidature du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais à une inscription au titre du Patrimoine de l’humanité. La décision de porter une candidature Unesco de ce bassin minier, qui se déchire entre son héritage culturel et ses ambitions, dans la catégorie du « Paysage culturel évolutif », affirme la volonté de bâtir une démarche apaisée de développement durable du territoire, démarche fondée sur la symbiose entre le paysage et l’Œuvre de l’homme. Le BMU (Bassin Minier Unesco) a la charge de constituer le dossier de ce projet innovant et ambitieux, qui investit toutes les traces matérielles et immatérielles.
Un habitat précurseur
L’association la Chaîne des terrils entreprend ce travail dès 1989. Les quatre grands carreaux de fosse : Lewarde, Loos-en-Gonelle, Oignies et Wallers-Aremberg, sont aujourd’hui préservés, dont deux protégés au titre des Monuments historiques. Lewarde abrite le Centre historique minier. L’ampleur du parc immobilier construit par les compagnies pour loger la population nécessaire à cette activité constitue le témoignage tangible de l’organisation de la société minière. La Mission Bassin minier a recensé plus de six cents cités et les a classées par typologie et intérêt patrimonial : les corons (1825-1890), les cités pavillonnaires (1867-1939), les cités-jardins (1905-1935), les cités modernes (1945-1970). Le SDAP du Pas-de-Calais tente de mettre à profit cet inventaire en l’utilisant dans le cadre des procédures en cours des PLU au titre de l’article L 123.1-7 du Code de l’Urbanisme. L’innovation, tant dans l’organisation spatiale que dans les techniques employées pour leur édification, a rendu leur rôle précurseur dans le domaine de l’habitat patronal. Ce témoignage mérite une protection au titre des Monuments historiques. Cependant, cette architecture modeste s’avère très vulnérable ; elle reste souvent négligée et maltraitée lors des travaux de réhabilitation. Les deux SDAP, avec le concours de la DRAC, ont pris l’initiative de créer un groupe de réflexion, « le groupe matériau », dont l’objectif est d’améliorer la qualité des travaux sans pour autant en augmenter le coût.
Par ailleurs, la Mission Bassin minier a engagé une analyse paysagère fine pour identifier les éléments intrinsèquement remarquables et un certain nombre d’ensembles cohérents caractéristiques de l’histoire du bassin minier. Elle concourra à la mise en scène de certains points de vue pour qu’ils apparaissent comme des “tableaux vivants” à ceux qui traverseront ce territoire. Préserver l’identité culturelle du territoire conduit à proposer une gestion dynamique et homogène reposant sur :
• une ZPPAUP thématique, sans doute l’outil le plus pertinent et le plus adapté
• une Directive paysagère sur la totalité du périmètre du bassin minier.
L’implantation du futur Louvre-Lens au centre des cités minières sur un site où demeure encore la salle des pendus, s’avère un choix symbolique. Le patrimoine lié à l’extraction du charbon possède une valeur authentique et universelle, sera-il la ressource ultime de ce territoire ? Probablement. Mais seule une mobilisation forte de toute la population et des élus assurera la pérennité du projet.
Catherine Madoni et Anne-Lorraine Lattraye
SDAP du Pas-de-Calais